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dimanche 10 juillet 2016

Euro 2016 : une ferveur écornée ?

L'histoire familiale d'Antoine Griezmann ressemble au réaliste mariage entre les Peuples plutôt qu'à l'utopique repli identitaire de Karim Benzema. Ce dernier en a fait les frais qui, à la veille de l'Euro 2016, croyant hisser l’étendard de l'injustice au fronton de la Fédération Française de Football, a couvert les quartiers du linceul de la victimisation. Que veut-on, le chemin qui mène au choix de l'altérité est escarpé. Il fait gravir les sommets du « faire ensemble » - ce ciment de lien durable - plutôt qu'il n'engage à arpenter la morne plaine du  « vivre ensemble » où les bosquets sont autant de « communautés » perdus dans de vastes champs de blé !



Le football en particulier et le sport en général ne sont-ils pas justement une allégorie de ce « faire ensemble » ? N'y trouvons nous pas cette étroite conjugaison de la volonté personnelle et collective qui font les exploits sportifs ? L’éditorialiste Bruno Roger-Petit, a rappelé l'éclair que lança un jour Bill Shankly, ce grand footballeur et entraîneur écossais : « le football n'est pas une affaire de vie ou de mort, c'est plus important que cela ». J'y reconnais moins les accusations de Karim Benzema que les inquiétudes de Jamel Debouzze - énoncées elles aussi à la veille de l'Euro 2016. « Quand on vient des quartiers, on a une mécanique qui nous est propre. Avec un mélange de joie, de frustration et d’envie, on veut bouffer la terre entière mais avec nos potes et notre famille. » Je suis d'accord avec Jamel Debouzze tout autant qu'avec Bill Shankly. Car le football, par une popularité qui dépasse les frontières sociales et générationnelles, permet de communier de près ou de loin d'une étrange ferveur collective.



Cette ferveur a-t-elle été interdite aux supporteurs de Trappes et des autres « quartiers » de France ? Plutôt que de chercher à « cliver » le débat dans un contexte franco-français je préfère citer l'axiome d'Arrigo Sacchi, le grand entraîneur du Milan AC et de la Squadra des années 90 : « Le foot est une revendication sociale ». Dès lors, les propos de Jamel Debouzze - malhonnêtement critiqués et judicieusement retirés - deviennent terriblement audibles : «Tant qu’on ne permet pas aux quartiers d’évoluer et qu’on en fera pas des Sillicon Valley, qu'on ne leur permettra pas de s’épanouir humainement, socialement et économiquement, on «leur» en voudra toujours d’être ce qu’ils sont. » Certes, l'humoriste n'est pas pas un sociologue patenté des banlieues mais au moins s'en montre-t-il un perspicace observateur. Car ce concitoyen de Trappes a sûrement la légitimité de ceux qui trop souvent encore se jugent eux-mêmes ou sont jugés par d'autres en « indigènes » du lointain empire colonial français. Des « indigènes » cantonnés ou peut-être même reclus socialement dans ces territoires que l'oligarchie, par ses ambiguës politiques de la ville, a bien du mal à envisager comme des tremplins sociaux, les banlieues.


En ce jour de final de l'Euro 2016 je pense au grand-père Portugais d'Antoine Griezmann tout autant qu'à la précieuse déclaration de Jacques Chirac à la sortie des émeutes de 2005. Dans un message à destination des enfants des quartiers, il leur affirmait que « quelles que soient leurs origines, ils étaient tous des filles ou fils de la République ». L'Euro 2016 a-t-elle permis de rappeler cette réalité ? Je n'arrive pas à m'en convaincre.