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lundi 11 avril 2016

Je suis un Molenbeekois !

« La douceur revient - l'apaisement aussi. » témoigne Elsa Grangier dans son billet donné au Huffington Post. Elle vient de rencontrer Adam et son petit garçon dans une rue de Molenbeek. Le père raconte : « « Je suis arrivé d'Algérie en nonante » [...] Selon lui, sa ville, il y fait bon vivre. « Les cas de radicalisations sont isolés et bien sûr arrivent. Comme partout. Molenbeek n'est pas une exception. » » A part pour Guy Malandain et Ali Rabeh. Car trop c'est trop. Eux ne « vivent » pas à Molenbeek. Et Trappes n'est pas Molenbeek. La preuve ! Ils n'en sont pas le maire et le maire-adjoint. Et Molenbeek n'est surtout pas Trappes où, depuis les attentats du 13 novembre, « on vit ici en fraternité pour la paix ».

Guy Malandain et Ali Rabeh n'en n'ont pas démordu : Trappes a été outrageusement associée au communautarisme et à une longue et terrifiante série d’attentats terroristes. Ils sont montés sur leurs grands chevaux. Le motif de leur courroux ? Le commandant de police Patrice Ribeiro. Son forfait ? Avoir déclaré qu'il y a partout en France des Molenbeek, à l'instar de «Trappes, Roubaix, le Mirail à Toulouse, où vivait Mohamed Merah ». Emportés par leur colère d'élus qui « vivent » à Trappes « en fraternité pour la paix », ils en ont oublié que Molenbeek c'est aussi des Molenbeekoises et des Molenbeekois. Une population qui «elle aussi vit dans la stigmatisation et en souffre constamment ». Mais l'injustice n'est pas un souci pour ces élus de gauche ! Patrice Ribeiro est à leurs yeux le secrétaire général d'un syndicat aux positions souvent jugées à droite, Synergie-officiers, qu'il faudrait combattre au nom d'un idéal qui ne comprend pas le réel !

Qu'ils y prennent garde ! Face au déni, les habitants de Trappes et de Molenbeek pourraient se serrer la main. Ces deux villes sont frappés par des maux économiques similaires : le difficile passage de la société industrielle à la société tertiaire. De même, les Bourgmestres successifs de Molenbeek, comme Guy Malandain à Trappes, refusent avec désinvolture cette image négative de commune touchée par la criminalité. Quant à leurs administrés ce sont des héritiers. Non-pas des entreprises du CAC 40 ou du BEL 20. Ils sont les héritiers « de politiques sociales laxistes. Et qui n'ont fait que nourrir le monstre. » Ce monstre devant lequel Patrice Ribeiro ne voudrait pas faiblir : « Il y a un substrat à Trappes et il y a une adhésion d'une partie de la population aux thèses qui rejettent les valeurs démocratiques ».

Peine perdue ! Guy Malandain et Ali Rabeh sont en croisade. Mais croyant revêtir leurs habits de chevaliers blancs contre Patrice Ribeiro, ils chargent contre les Trappistes. Lisons Guy Malandain dans l'édition du Parisien en date du 25 mars, qui use d'un vieux tour rhétorique pour ne pas assumer la responsabilité des problèmes : «Je préfère ne pas réagir aux âneries de quelqu'un qui aurait mieux fait de se demander s'il avait bien fait son boulot lorsqu'il était en poste ». Entendons Ali Rabeh qui maladroitement « islamise » le débat au micro de RMC, tendu par Éric Brunet : « Venez avec M. Ribeiro, à pied, dans ma ville et il verra combien de femmes en burqa il verra et s'il y a des zones de non droit ». Et à la pointe de l'épée, la cerise de nos redoutables bretteurs : « On n'est pas en guerre et il ne faut rien faire qui puisse légitimer ce propos ». Mince ! Ces élus de gauche ne connaissent pas l'optimisme courageux de Jaurès  : « La paix n'est qu'une forme, un aspect de la guerre : la guerre n'est qu'une forme, un aspect de la paix : et ce qui lutte aujourd'hui est le début de la réconciliation de demain. »

En fait « d'âneries » celles de Guy Malandain et d'Ali Rabeh pourraient avoir trouvé d'autres brides que l’idéal de Jean Jaurès maintes fois rectifié par la majorité socialiste de Trappes. Elsa Grangier est chroniqueuse pour l'émission Les Maternelles sur France 5. Son témoignage donné au Huffington Post, « il y a trois jours j'étais à Molenbeek » semble nous parler de Trappes. « Pour l'instant, je n'y vois qu'une banlieue populaire chargée d'une forte histoire communautaire. Aucune barbe, aucune burqa, aucune tension apparente. Molenbeek a des airs de Barbès, d'Avron, de Montreuil -endroits que j'ai habités. » Un sentiment qui évolue au fur et à mesure de sa visite. « C'est populaire mais c'est triste aussi Molenbeek. Voire un peu glauque à certains endroits. Ferrailles, déconstruction et grillages barbelés cohabitent là où l'on voudrait chaleur et cohésion sociale. » Quel Trappiste oserait dire que les laideurs de sa ville ne l'ont jamais rendu triste ?

Tout à coup, une fusillade éclate. Et à Elsa Grangier de constater. « Molenbeek la désenchantée s'est mue en Molenbeek l'hostile. Bizarrement, il fait plus froid, le soleil s'estompe, les regards semblent s'appesantir davantage, les berlines opèrent un balais incessant avec lenteur... L'insécurité gagne. Paranoïa? » Elle finit par répondre : « Impuissance constatée face à la montée de la radicalisation, incapacité à endiguer l'embrigadement des jeunes et un certain laisser-faire fédéral : ingrédients parfaits qui font de Molenbeek une base stratégique du terrorisme. Tout cela en plein cœur de l'Europe. »


« La douceur revient - l'apaisement aussi. », Heroes de David Bowie résonne dans mes oreilles de Trappiste. « Et les fusils / Tiraient au-dessus de nos têtes / Et on s'embrassait / Comme si rien ne pouvait tomber / Et la honte / Était de l'autre côté.» Je pense à la guerre froide et à son mur, celui de Berlin. Je me dits que Heroes n'engageait pas à dire « Je suis Berlin » mais plutôt « Je suis un Berlinois ». Ne devrais-je pas moi-même tenter de fendre un peu le mur ? Celui des processus de radicalisation qui rendent utile, à la médiocratie qui végète, les idiots sanguinaires. Serait-ce une « ânerie » de ma part que d'adresser mon sentiment fraternel à la population d'une ville populaire de Belgique ? Une population que « l'islamisation de la radicalité » a injustement enclavé. Je voudrais faire tout cela en disant : « Je suis un Molenbeekois ! » Ce n'est pas Guy Malandain et Ali Rabeh qui le disent. Y ont-ils seulement pensés au nom de l'égalité, ce socle de la fraternité ?


A lire : Elsa Grangier : "Il y a trois jours j'étais à Molenbeek".