Traduction

jeudi 9 mars 2017

Maître Jacques

Étonnant maire de Trappes Guy Malandain qui en séance du conseil municipal, le 21 février dernier, n'a pas jugé utile de signaler le décès de l'ancien adjoint au maire, Jacques Pastrie. Pourtant, le directeur de cabinet du maire semblait avoir fait réception de la triste nouvelle en m'adressant par mail, le 19 février à 20h15, ces quelques mots : « Bonjour, Bien reçu. Cordialement. Rogatien Bouchereau »
L'indifférence de Guy Malandain est d'autant plus troublante qu'il est de notoriété publique que Jacques Pastrie a été l'un des artisans, si ce n'est le principal, de sa venue à Trappes.
Je publie ici l’hommage que je voulais rendre à Jacques Pastrie en séance du conseil municipal du 21 février et que j'avais préalablement adressé au maire le 19 février. Le mutisme de ce dernier ne m'a pas autorisé à le communiquer décemment à l'assemblée communale.
Je le rend public aujourd'hui au nom de mon amitié avec Jacques Pastrie et de la peine partagée avec sa famille, ses proches et ses amis.



Monsieur le maire, 
Monsieur Malandain, 
Guy, 

Notre ami Jacques Pastrie a rejoint un monde où, dit-on, la vanité et l'orgueil n'existent pas. Il s'en est allé au petit matin du 9 février dernier. Ses cendres voguent maintenant au gré des courants de l'océan Atlantique. Peut-être atteindront-elles un jour la rive du pays de ceux qu'il appelait « les Ricains »

Ce dernier voyage suspend pour toujours l'attention qu'il porta jusqu'au bout à Trappes et à son assemblée communale. Comment aurait-il pu oublier notre ville, lui qui, sous les couleurs du Parti socialiste, fut le candidat d'une cantonale en arborant un slogan sans appel pour ses adversaires politiques : « Moi, j'aime Trappes ! »
Il aimait Trappes et l'aima encore de Gouvieux, près de Chantilly, son premier exil. Son inclination ne relâchait pas dans l’île espagnole de Majorque, son second exil, d'où il tenta de couler une paisible retraite. 
Il aura fallu la mort pour que tout s'éteigne ; une mort sur le sol français, qu'il avait regagné en décembre dernier à Saint-Nazaire pour finalement y mourir en février ; une mort devant laquelle il n'a pu opposer le sarcasme grinçant de son cher Alphonse Allais : « Ne remets pas à demain ce que tu peux faire après-demain »

Guy, l'« après-demain » de Jacques est arrivé ; sans doute est-il temps que je dise publiquement ce que tu sais peut-être : il a vécu 2001 comme la trahison d'une amitié. En définitive, il n'aura jamais su si son éviction de ta liste du second tour de la municipale fut « une fuite sous un orage ou une déclaration de guerre »
Cette éviction explique bien des choses de la géographie de notre assemblée communale. Les hésitations des uns, la disparition des autres et même ma résolution de soutenir un jeune ambitieux de l'autre rive de la République, tout simplement parce que je le trouve brillant et parce qu'il respecte mon amitié. 
Jacques s'est réjoui de mon choix en 2014, pour ne pas dire qu'il l'a encouragé et soutenu. 

Or la mort efface tout et il ne reste, devant elle, que le souvenir que cultivent les vivants d'un être disparu. 

Dès lors, que pourrais-je dire à nos collègues et à nos concitoyens qui accepteraient d'honorer notre assemblée du souvenir de notre ami ? 
Que Jacques fut l'un des artisans de l'alternance de 2001 ? Ce serait un peut court et presque anecdotique. 
Que Jacques fut un autodidacte de génie dont la culture lui permettait de jouer de la langue comme d'autres le font du sabre ou du fleuret ? Ce pourrait être un bon début mais ce serait largement insuffisant. 
Non, pour honorer dignement notre assemblée de la mémoire de Jacques, un simple souvenir suffira. Car ce souvenir dit l'essentiel. 

Il faut alors que je t'emmène, Guy, à la dernière cérémonie de vœux que donna le sénateur-maire de Montigny-le-Bretonneux, Nicolas About, où Jacques m’entraîna. 
Là, je fus surpris par la complicité et la chaleur que cultivaient, entre eux, ces deux hommes que tout séparait, les idéaux politiques, la nature des études, le champ social, les cercles d'amitié et les générations, dont l'une a connu la guerre et l'autre non. 
Mais je le fus davantage encore quand on m'expliqua comment Nicolas About accepta le pacte d'amitié que, un jour, lui proposa Jacques. 

Il faut alors remonter au temps où tu n'étais pas encore, Guy, de la ville nouvelle. Ce temps où Saint-Quentin-en-Yvelines n'était encore administré ni par la Sqy, ni par la Casqy, ni par le San mais par le Scaan. Ce temps où Jacques dirigeait la rédaction de la gazette institutionnelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. 
À l'époque, Jacques prit le risque qu'on le privât de cet emploi, un risque qu'il prit au nom de ses idéaux. Des idéaux qui lui commandaient, malgré les risques encourus, d'imposer le droit d'expression de la minorité de droite à la majorité de gauche dont, pourtant, il se réclamait et qui l'employait. 

On pourrait dire, au regard de ce fait, qu'il y avait chez Jacques du Voltaire, dont tu sais le fameux mot : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire »
On pourrait dire aussi que sa lutte contre le désenchantement dressait des barricades contre l'indifférence, voire contre la défiance que les sectaires ont toujours cultivée contre la démocratie. 
Un sectarisme auquel Jacques aura opposé une arme redoutable : fédérer largement plutôt que cliver, pour constituer « le parti de l'Amitié » qui, bientôt, chez ses adversaires, allait former son corollaire, le parti de l'inimitié !

C'est le « parti de l'Amitié » qui permet d'honorer notre assemblée de la mémoire de Jacques Pastrie. Notre ami Jacques, dont l'océan transporte les cendres et dont l'âme rit sûrement, devant l'Atlantique, du mot de Henri Monnier, qu'il aimait autant qu'Alphonse Allais : « la mer : une aussi grande quantité d'eau frise le ridicule ».

Mais ce n'est là, Guy, monsieur Malandain, monsieur le maire, que le fantasme d'un vaniteux et orgueilleux vivant qui croit « aux forces de l'Esprit » : « Bibi », selon le mot même de Jacques Pastrie, notre ami, qui est mort. Et la mort efface tout. 


Merci.